2 novembre 2023
Histoire du Web
30 ans après la naissance du World Wide Web, le premier livre retraçant l’histoire de la France numérique et de ses pionniers.
Le World Wide Web est partout dans nos vies. De sa naissance en 1989 dans un laboratoire du Cern à son adoption publique en 1993, il n’a cessé d’évoluer. Mais connait-on bien son histoire et le rôle phare qu’a joué (et continuer de jouer) ce qu’on nomme aujourd’hui la French Tech ? Trente ans après les premiers pas du Web, les pionniers sont toujours là, engagés dans des batailles politiques ou occupés à forger les futures étapes du numérique aux côtés des nouvelles générations, pour que la France trouve une place légitime dans cette nouvelle révolution industrielle. Des balbutiements du Web hexagonal à son omniprésence, epassant par la Net euphorie, la bulle Internet et la « remontada» de l’innovation, cet ouvrage raconte pour la première fois la France numérique, telle qu’elle a été façonnée par des optimistes. Ces grandes étapes de l’Internet français sont complétées de visions et de recommandations sur les perspectives possibles et de plus de 150 portraits de pionniers afin de créer un panorama du digital français rendant hommage aux esprits créatifs.
1) Pourquoi consacrer ce livre au Web français ?
La pandémie de Covid-19, entre 2020 et 2022, nous aura permis de prendre conscience de l’importance du numérique dans nos vies. Mais nous semblons avoir oublié qu’il existe grâce aux efforts de quelques centaines de professionnels, décideurs et entrepreneurs. Des pionniers, qui ont cru au Web et à son potentiel à une époque où la « Toile » restait encore à remplir. Ce livre a pour objectif de rendre leur travail à nouveau visible. Afin que chacun puisse prendre conscience que la « French Tech » que nous connaissons aujourd’hui n’est pas tombée du ciel.
Sa vitalité, le numérique français la doit aux prises de risques, aux rêves, aux remises en question et aux innovations d’une poignée de visionnaires – dont les parcours sont tout sauf linéaires.
Si la Toile dont nous héritons aujourd’hui est mondiale, elle n’en demeure pas moins dominée par des acteurs anglo-saxons, pour ne pas dire américains. La France dispose de son propre numérique. Mais ce numérique aurait sans doute pu être plus important, et plus autonome, si nous avions tiré les leçons de ses débuts, entre 1995 et 2005.
Pascal Gayat
Je pense qu’il est essentiel de valoriser notre propre histoire numérique, celle qui a façonné notre rapport actuel à la technologie et au Web. Alors que la majeure partie de l’histoire du Web est souvent racontée du point de vue des GAFAM, il existe une riche mosaïque d’innovations, d’échecs, de réussites et de leçons apprises ici, en France, qui mérite d’être mise en lumière. En creusant dans les racines du Web français, nous pouvons célébrer nos réussites, mais aussi comprendre nos échecs et envisager l’avenir du numérique en France avec un regard éclairé.
Le Web français offre aussi une touche de diversité dans un monde numérique standardisé. Alors que les grandes entreprises, souvent US, dominent le Web, nous souvenir des acteurs locaux, des entrepreneurs audacieux et des pionniers qui ont contribué à forger le paysage numérique français, est salutaire. Ces histoires peuvent servir d’inspiration à la nouvelle génération d’entrepreneurs français.
Enfin, je crois fermement que pour comprendre notre présent et envisager notre avenir numérique, nous devons comprendre notre passé. Le Web français a traversé de nombreux défis. En explorant ces années cruciales, nous pouvons mieux comprendre les défis actuels et à venir du numérique en France – tout en offrant une reconnaissance bien méritée à ceux qui ont ouvert la voie.
Fabien Soyez
2) Votre livre est aussi une grande initiative de transmission intergénérationnelle du Web Français…
Fin 2018, nous avons proposé à tous les étudiants de la promotion 2019 du MBA MCI, De Vinci Education, formation pionnière en matière de Commerce & Internet, de contacter des centaines de professionnels qui avaient débuté leur carrière dans le web au beau milieu des années 90. L’idée était de conduire des entretiens pour savoir comment ces personnes en étaient venues à travailler dans un secteur qui débutait sans modèle économique avéré.
Une centaine d’entretiens ont été effectués et les étudiants ont pu découvrir par eux-mêmes le récit d’une véritable épopée. C’est en effet la première fois qu’une initiative de telle ampleur a deux effets, celui de former de jeunes générations à l’audace, et de collecter une information aussi précieuse pour notre industrie numérique qui compte aujourd’hui 1 million d’emplois en France.
Pascal Gayat
3) Génies, visionnaires ou inconscients, vous présentez 150 parcours de professionnels, pionniers d’un Web qui n’existait pas encore, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
La partie consacrée aux parcours et témoignages de Pionniers comprend des éléments issus des entretiens avec le focus sur débuts dans le Web pour chacun d’entre eux. Il était important pour nous de savoir ce qui les avait amenés à accepter ces premières fonctions digitales, quelles formations il avaient, et souvent la part très anecdotique des débuts car il n’y avait par principe pas de formation qui menait au Web en 1994 !
Pour les entrepreneurs emblématiques qui ont fondé et dirigé des entreprises et marques très connues y compris du grand public de l’époque nous avons retracé leurs parcours et repris des éléments de la vision qui les animait. Pour certains, ils se sont exprimés sur leur ressenti, 25 ans plus tard, face à cette période pionnière et comment accompagner l’avenir sur les grandes thématiques que sont l’IA, le Web3, la responsabilité environnementale.
Pascal Gayat
Ces 150 parcours que nous mettons en avant dans notre livre représentent la diversité et la richesse de l’histoire du web français à ses débuts. Ces professionnels, génies, visionnaires ou simplement chanceux d’avoir été là « au bon moment », sont ceux qui ont osé s’aventurer dans l’inconnu, à une époque où le numérique n’était qu’à ses balbutiements en France. Chacun à leur manière, ces pionniers ont contribué à poser les premières pierres de ce qui est devenu l’édifice du numérique français que nous connaissons aujourd’hui.
À travers leur témoignage, nous revisitons cette période cruciale de 1995 à 2000, une époque malheureusement souvent éclipsée par l’ombre des géants de la tech actuels. Mais c’est précisément cette période qui peut nous offrir des leçons précieuses pour l’avenir. Si nous voulons comprendre les opportunités et les défis du futur Web3 et envisager une véritable autonomie numérique pour la France, il nous faut regarder en arrière, analyser nos réussites et nos erreurs, et puiser dans l’expérience et la sagesse de ces pionniers. Notre livre est une invitation à cette introspection et à une reconnaissance de l’impact de ces individus audacieux sur notre paysage numérique actuel.
Fabien Soyez
4) Revenons 30 ans en arrière, quelle épopée du web français vous a le plus marqué ?
(une réponse par auteur ou une réponse commune, comme vous le souhaitez).
L’épopée qui m’a semblé la plus marquante est celle de Multimania, qui au début des années 2000 comprenait un ensemble de services « essentiels » aux usages numériques, services que nous utilisons toujours aujourd’hui mais via des plateformes américaines. Ainsi on pouvait avoir ses pages personnelles et être relié à sa communauté (comme pour Facebook), avoir son adresse email personnelle (comme pour Gmail), naviguer via des annuaires et moteurs de recherche (comme pour Google). Ces services étaient utilisés par des millions d’utilisateurs en France et on peut penser qu’ils seraient certainement leaders aujourd’hui en France s’ils avaient bénéficié d’un soutien important lors de l’explosion de la bulle internet. Globalement la règle entrepreneuriale de l’époque était de copier les services américains mais nos services devenaient vite leaders sur le marché français, c’est un témoignage rapporté par de nombreux entrepreneurs de l’époque, c’est aussi une question de culture.
Pascal Gayat
L’épopée du web français qui m’a le plus marquée est celle de Nomade, menée par Gilles Ghesquière et Jean Postaire. Leur histoire incarne parfaitement l’ambition, la vision et le courage entrepreneurial des débuts du Web en France.
Dès 1994, Gilles Ghesquière, armé d’une riche expérience en information en ligne et inspiré par les premiers échos du web américain, voit dans le Web naissant un potentiel inestimable. Avec son collègue Jean Postaire, ils s’inspirent de Yahoo!, le premier annuaire américain, pour créer un équivalent français, adapté aux besoins spécifiques de notre pays.
Lancé en 1996, Nomade n’était pas juste un annuaire. C’était le reflet d’une époque où le Web était encore un terrain vierge en France, avec des connexions lentes et des coûts d’entrée élevés. Malgré cela, ces pionniers ont vu l’opportunité. Ils ont misé sur un modèle publicitaire, démarchant les premiers annonceurs audacieux comme Canon et Peugeot, qui ont pris le risque de découvrir ce nouveau média. Les débuts étaient modestes, mais c’est cette audace et cette vision qui ont jeté les bases du paysage publicitaire digital d’aujourd’hui.
Au-delà de l’aspect technique ou commercial, ce qui me fascine dans cette histoire, c’est le parcours entrepreneurial. Financer une startup web à cette époque n’était pas une mince affaire. En France, les opportunités de capital risque étaient limitées, et les défis étaient nombreux. Pourtant, avec détermination, Gilles Ghesquière et Jean Postaire ont puisé dans leurs propres économies, sollicité amis et famille, et ont su convaincre des investisseurs visionnaires de croire en leur projet.
Ils ont aussi échappé de justesse à la bulle internet : Jean Postaire et Gilles Ghesquière auront eu la chance inouïe de revendre leur bébé en juillet 1999, peu de temps avant l’éclatement de la bulle (à LibertySurf, pour 130 millions de francs (26 millions d’euros)).
Finalement, alors que nous voyons face à nous les géants du web d’aujourd’hui, il nous faut nous remémorer ces pionniers, ces bâtisseurs de la première heure. Leur voyage, leurs défis et leur succès sont un rappel puissant de l’esprit entrepreneurial qui a façonné le web tel que nous le connaissons aujourd’hui. Nomade, pour moi, incarne cet esprit et reste une source d’inspiration pour tous les aspirants entrepreneurs du numérique.
Fabien Soyez
5) Les GAFAM ont éclipsé (ou submergé) le web français. Avec l’arrivée du web3, les cartes peuvent-elles être redistribuées ?
En effet, Google et Facebook principalement ont bénéficié de la période de vaches maigres de 2001 à 2010 pour s’imposer et en effet à cette époque plus aucun entrepreneur ne tentait de les copier, c’est probablement là que les principales erreurs ont été faites par nos écosystèmes car c’est justement à ce moment que les usages se sont développé, que le E-Commerce est devenu une vraie réalité, que la qualité des connexions s’est nettement améliorée.
En 2006, alors que j’étais en rendez-vous avec des investisseurs, il était écrit sur un mur « si vous êtes venu nous dire que votre principal concurrent c’est Google, votre place n’est pas ici ». C’est justement l’inverse qu’il fallait soutenir ! Et il fallait le faire en soutenant les acteurs des 90s dès 2000.
A l’aube du Web3, il est important d’identifier les signaux faibles, qui sont déjà évidents, de choisir ses combats et de prendre une place importante sur l’échiquier européen, puis mondial. Les cartes peuvent toujours être redistribuées, on l’a vu y compris entre acteurs des BigTech notamment avec la bataille des moteurs de recherche, des navigateurs, de l’Internet Mobile.
Ce qui est important d’identifier, c’est ce que seront les usages essentiels associés à ces nouveaux concepts, car le passé nous a démontré que ces sont les entreprises qui insufflent ou qui servent ces usages essentiels qui remportent la mise, parce que ce sont celles qui collectent le plus de données pour modéliser leur développement et pour savoir comment évoluent les usages sans même avoir à interroger les utilisateurs.
Pascal Gayat
Les auteurs :
D’abord intrapreneuse du digital chez Universal Music dans les années 90, puis startupeuse dans les années 2000, Sophie Bramly est également autrice de plusieurs livres.
Pascal Gayat est professionnel et dirigeant d’entreprises du secteur numérique depuis 1996. Il est fondateur et organisateur des trophées « Les Cas d’OR du Digital » qui récompensent les succès opérationnels des organisations en la matière.
Fabien Soyez est journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies et l’économie. Il est le co-auteur de la biographie de Louis Pouzin, inventeur français d’Internet. Après avoir écrit sur l’histoire du Net, il poursuit l’aventure du cet ouvrage avec l’histoire du Web français